Pendant cette période de confinement, nous vous proposerons toutes les semaines une section "living room" dans laquelle vous pourrez visionner sans bouger de votre salon une sélection de vidéos d'artistes.
Cette semaine, nous vous présentons une sélection de vidéos récentes du duo Emilie Brout & Maxime Marion.
Duo d'artistes, vivent et travaillent à Paris.
"La signification de la valeur dans une ère post-quelle-qu’elle-soit, l’abondance en masse d’images – de la production aussi bien amateur que professionnelle aux images générées algorithmiquement – et le déplacement de l’artiste de la production à la post-production, et de la création d’œuvres à la génération de formats, sont tous des thèmes récurrents dans le travail récent d’Émilie Brout et Maxime Marion. Depuis 2009, le duo français s’est concentré sur des projets qui, réinventant le langage moderne du film, réemploient et s’approprient largement des contenus du web. Les libérant de leur statut de données apparemment insignifiantes et dénuées de valeur, ils les réarrangent en dispositifs complexes et narratifs, parfois générés algorithmiquement, ou encore en de puissantes images iconiques."
Domenico Quaranta, AFK. Texts on Artists 2011 - 2016, 2016, Link Editions
Lightning Ride, 2017, vidéo UHD, 7'40''
Avec Lightning Ride, ce sont les pôles du technologique, de l’organique et du mysticisme qui se télescopent avec l’électricité pour point de jonction. Il s’agit là d’une vidéo réalisée à partir d’extraits de « Taser Certifications », une sorte de cérémonie autorisant aux Etats-Unis l’usage de Tasers à condition de se faire soi-même taser. Passées au filtre « peinture à l’huile » sur Photoshop, ralenties et accompagnées d’une inquiétante bande-son, les images qui se succèdent donnent à voir des corps et des visages dont les positions et déformations évoquent aussi bien une douleur qu’une extase christiques. Tout se passe ici comme si la fée électricité, symbole de la rationalisation du monde, relançait de manière paradoxale une aspiration à la transcendance, les antipodes se rejoignant et disparaissant au profit d’une nouvelle carte des possibles. (Sarah Ihler-Meyer)
b0mb, 2018, vidéo générative, site web, 9'58''
Production La Villa du Parc, Annemasse, FR
b0mb est une vidéo générative en ligne, différente à chaque visionnage et accessible via un site web dédié. Avec un rythme intense, elle présente un montage de plusieurs centaines d’images de toute nature présentes sur internet, défilant sur une bande son musicale où l’on entend la voix de Gregory Corso lisant son poème Bomb (1958).
Déclaration d’amour à la plus terrible des technologies et métaphore de la nature autodestructrice de l’homme, le poème comporte une grande diversité de champs lexicaux lui conférant une dimension presque universelle. Figure de la Beat Generation, Corso cherche à produire ici une poésie où les phrases seraient absentes de perspective, construisant son texte via une juxtaposition de mots-clés les uns "contre" les autres. A partir du poème, les artistes ont alors effectué un travail de réduction d’écriture, de filtrage et d’interprétation, pour traduire son contenu en requêtes pour moteur de recherche tel que Google Image. Chaque image visible dans b0mb provient donc automatiquement du résultat d’une de ces requêtes, sélectionnée selon des algorithmes de popularité, et s’affiche de manière synchronisée avec le texte énoncé, par un montage au chemin de fer prédéfini. Si la durée et le son restent fixes, les images sont renouvelées à chaque visionnage, évoluant peu à peu dans le temps, au fil de l’actualité. La pièce se comporte telle un protocole automatique en ligne, puisant dans son environnement des visuels pour les donner à voir sous un autre jour le temps d’un instant.
De par la grande diversité de sujets abordés dans le poème et la nature hétérogène des images (photographies amateur, publicités, cliparts, presse, différences de définition...), l’œuvre donne donc à voir une sorte d’instantané de la culture visuelle d’Internet. Par un enchaînement effréné d’images indifféremment anodines, belles ou terribles, elles rendent aussi compte de la violence qui peut s’en dégager.
A Truly Shared Love (trailer), 2018, vidéo UHD, 5'20''
Production La Villa du Parc, Annemasse, FR
"Il la regarde, les yeux énamourés. Elle le regarde, plus tard, alors qu’il est endormi. Un chat se prélasse dans le lit. Peut-on imaginer plus grande douceur ? Revisitant le fantasme de l’amour partagé, le duo d’artistes Émilie Brout et Maxime Marion réalise une vidéo de cinq minutes qui fait figure de teaser à un film d’amour : le leur. Tournée dans leur atelier – remanié pour l’occasion en décor d’une extrême neutralité –, la vidéo suit le cahier des charges exigeant de Shutterstock, une plateforme qui vend images et vidéos à des professionnels de tout type... D’où l’apparence lisse et la rigueur impeccable des plans. L’objectif : faire accepter le film, actuellement en cours d’examen par la plateforme. Pour ce faire, en plus de leur travail sur l’esthétique, ils ont ménagé des espaces libres qui permettront aux éventuels clients de glisser leur publicité au sein même du film : c’est pourquoi les personnages travaillent sur des ordinateurs à fond vert, sur lesquels la caméra zoome longuement. Telles quelles, les images donnent une impression vertigineuse de vide, de vie factice, organisée selon des standards insupportables – pour être heureux, il faudrait être jeune, blanc, hétérosexuel, en couple, mince, beau... Et pourtant. Quelques indices, glissés ici et là, instillent une pointe de malice et d’intimité au cœur même de la neutralité. Émilie Brout et Maxime Marion ont en effet demandé à trois artistes de créer des œuvres insérées au fil du film : une tapisserie et un dessin de Jimmy Beauquesne, un blouson noir de Ludovic Sauvage, et l’affiche du film, de Yannis Pérez. Surtout, ils sont véritablement en couple, et amoureux – impossible de ne pas le sentir durant la scène du baiser, pur éclair de sensualité. Ils tentent donc d’inviter un peu de leur vie privée et de leur art au cœur des standards d’Internet [...]".
(Maïlys Celeux-Lanval, “De l’amour en stock”, Beaux-Arts Magazine, novembre 2018)
Avec des pièces de Jimmy Beauquesne et Ludovic Sauvage