Accrétion, 2017, installation, bétonnière, ciment, sable, charbon, roches volcaniques, dimensions variables
Damkina, Série Accrétion, 2017, ciment, sable, encre de Chine, pigments, terre, roches volcaniques, 19 cm de diamètre
Urshanabi, Série Accrétion, 2017, ciment, sable, encre de Chine, pigments, terre, roches volcaniques, 19 cm de diamètre
Ilu, Série Accrétion, 2017, ciment, sable, encre de Chine, pigments, terre, roches volcaniques, 30 cm de diamètre
Apsû, Série Accrétion, 2017, ciment, sable, encre de Chine, pigments, terre, roches volcaniques, 19 cm de diamètre
Nergal, Série Accrétion, 2017, ciment, sable, encre de Chine, pigments, terre, roches volcaniques, 25 cm de diamètre
Vue d'exposition
Vue d'exposition
Vue d'exposition
Meteors ascendances (Aarhus), 2016, cyanotype sur papier, 65 x 50 cm
Albedo 0,60, 2017, groupe frigorifique, cuivre, eau, encre de chine, bac polyéthylène, 150 cm de diamètre Vue de l'exposition "Mécanique des milieux continus", 2017, CAB, Grenoble, France
Albedo 0,60, détail, 2017, groupe frigorifique, cuivre, eau, encre de chine, bac polyéthylène, 150 cm de diamètre
Quelque chose, 2017, poème mural de Bertrand Rigaux, graphite
« Il ne s’agit pas d’affirmer, du moins pas simplement, d’affirmer que les astres nous influencent, qu’ils gouvernent notre vie, mais d’accepter cela en ajoutant que nous aussi nous influençons les astres, car la Terre, elle-même, n’est qu’un astre parmi les autres, et tout ce qui vit sur elle (ainsi qu’en son intérieur) est de nature astrale. Il n’y a que du ciel, partout, et la Terre en est une portion, un état d’agrégation partiel. »
(Emanuele Coccia, La Vie des plantes, Une métaphysique du mélange, Bibliothèque Rivages, 2016)
« Je parle de pierres qui ont toujours couché dehors ou qui dorment dans leur gîte et la nuit des filons. (…) Elles sont du début de la planète, parfois venues d’une autre étoile. Elles portent alors sur elles la torsion de l’espace comme le stigmate de leur terrible chute. Elles sont d’avant l’homme ; et l’homme, quand il est venu, ne les a pas marquées de l’empreinte de son art ou de son industrie. Il ne les a pas manufacturées, les destinant à quel usage trivial, luxueux ou historique. Elles ne perpétuent que leur propre mémoire. »
(Roger Caillois, Pierres, 1966)
« S’il y a un point central dans cet univers, tu es sur la planète qui en est le plus éloigné. »
(Luke Skywalker à C3PO, La Guerre des Etoiles, 1977)
Dans l’œuvre de Cécile Beau, il n’est question que de révélation, dans tous les sens du terme. Révélation comme action de dévoiler, de rendre visible ou audible des phénomènes qui échappent à notre perception immédiate, mais aussi au sens d’épiphanie, d’illumination. Car Cécile Beau ne s’empare pas du réel tel qu’il nous apparaît, mais tel qu’il est en lui-même, au cœur vibrant de la matière, à travers ses strates et ses sous-couches sédimentaires – un réel fragmenté, inorganique et exogène. D’une économie de moyens proche de l’arte povera, mais avec une sensibilité décuplée par un ressenti hors-monde et hors-soi, ses installations s’appuient le plus souvent sur des matériaux pauvres et des dispositifs anti-spectaculaires. Il y est toujours question d’encodage et de décryptage, de formules alchimiques et de physique quantique, de cosmologie et d’archéologie. Accrétions et sédiments, matière noire et bruit de fond de l’univers y sont soutirés d’une réalité physique au seuil du discernement.
Placée sous le signe de l’astrophysique, l’exposition – dont le titre renvoie à la préhistoire - s’attache à explorer l’état transitoire des éléments minéraux, de leur origine cosmique (météorite) à leur transformation en sédiment géologique (roches, pierres, cailloux, sable, poussière), avant d’être accaparée par l’homme comme matière première. Se refusant à trancher entre le vertige métaphysique, l’allégorie poétique ou la rationalité scientifique, Cécile Beau nous place en face d’une forme de science-fiction phénoménologique.
Dans les cyanotypes bleu de Prusse exposés dans la première pièce (Meteors Ascendances), analogues à d’antiques parchemins, l’artiste a dressé un thème astral correspondant à la date et l’heure exacte d’impact de météorite sur Terre, entre 1640 et 2016. Ces pierres venues de l’espace seraient-elles porteuses d’une forme de génotype ? Telle une oracle du Quattrocento, elle met en scène la cartographie du ciel en tant qu’outil primordial de connaissance, dans le prolongement de Pythagore, Ptolémée, Hipparque, Kepler, Copernic, Nostradamus ou Tycho Brahé, mais aussi de la branche persane, iranienne et égyptienne de l’astronomie, à l’âge d’or de la civilisation arabo-musulmane. En faisant appel à la lumière UV, la technique du cyanotype vient encore étayer les liens tacites entre le mode graphique de représentation du monde et les rayons solaires.
Au centre de la pièce est agencée l’installation Albedo 0,60 : un grand bac à gâcher circulaire, cratère sans fond à la surface duquel s’est déposé une pellicule de glace à la blancheur immaculée. Elle reste insensible à la température environnante. Générée par un circuit frigorifique, cette calotte glaciaire renvoie à la transmutation alchimique et au processus de transformation du liquide en solide, par condensation et cristallisation. Cette sculpture « géochronique » se joue à la fois du temps comme durée et comme phénomène météorologique, mais renvoie aussi aux conditions climatiques extrêmes qu’on rencontre dans l’espace ou dans les zones dépeuplées du Grand Nord.
Mais l’artiste n’est pas dupe de ses effets et un rire sous cape vient contrebalancer l’austérité du dispositif. En usant de subterfuges low-tech et low-cost pour figurer ce gigantisme cosmique, hors de portée humaine, Beau a eu recours à des matériaux de chantier, en lien direct avec l’activité la plus terre-à-terre qui soit : la maçonnerie. Dans Accrétion, la seconde pièce, accompagnée d’un poème de Bertrand Rigaux, une bétonnière noire laisse entendre le carambolage des gravats contre ses parois métalliques. Dans le tambour s’entrechoquent des minéraux monochromes : charbon, pierre volcanique et sable noir. La rotation de cet outil industriel, au bourdonnement intempestif, se fait l’écho du système héliocentrique et de la formation de la matière noire, mais sur un mode rudimentaire et prosaïque qui renvoie au labeur du maçon, malicieusement rapproché de celui d’un démiurge. Des demie-sphères, dont la texture veinée et le relief terreux rappelle ceux d’astres lointains, sont accrochées au mur selon une ligne horizontale désaxée, reconfigurant cette cosmogonie au sein même de la galerie. Une manière, aussi, de réhabiliter la tâche originelle de l’artiste, qui consiste à révéler des mondes inconnus et à questionner la nature du réel.
Au-delà de leur fascinante aura qui bouscule la matrice ontologique, l’œuvre délicate et subtile de Cécile Beau dresse une véritable topographie du biotope terrestre et des éléments - minérales, gazeux ou végétaux - qui en forment la substance, suivant le cheminement d’une pensée nourrie de sciences et de poésie, d’occultisme et de philosophie. En jouant ainsi avec la matière dans son inscription géologique et thermique, par-delà notre perception « terrestre » du temps et de l’espace, l’artiste invite à penser le monde autrement et ouvre de nouveaux horizons à la compréhension de la réalité. Et révèle que nous sommes bien plus étrangers qu’on ne le pense à notre environnement, dont elle cherche inlassablement à percer le mystère.